Loué soit Mélenchon ! par Christian Salmon

Publié le par Jacques Jakubowicz

Christian SalmonLarge extrait de la chronique de Christian Salmon dans le magasine du journal "Le Monde", écrivain et chercheur au Centre de recherches sur les arts et le langage, au CNRS.

 

 

M. Mélenchon, à la différence de Mme Le Pen, madone médiatique, fruit d'un croisement -hasardeux entre Jeanne d'Arc et Sarah Palin, fait de la politique à l'ancienne, celle qui, depuis les Grecs, fait naître la "res publica" de l'esprit de révolte et qui renaît en cette année 2012 sur les places publiques d'Athènes et se propage de Tunis au Caire, de Madrid à Wall Street. La politique considérée non pas comme une série télévisée, mais comme un moment d'intense discussion. Car, on l'avait oublié, il n'y pas d'autre forme à la démocratie que l'attroupement spontané d'une foule en colère. C'est elle qui donne naissance au premier forum. C'est elle qui inaugure la grande dispute citoyenne qui fonde la démocratie. C'est le grand mérite de la campagne de M. Mélenchon que de renouer avec ces sources de la démocratie. Elle opère un triple déplacement du débat public. De la scène du souverain et de ses rivaux vers la scène du forum, de la place publique. Elle milite pour un changement social mais aussi pour un changement de perception. Elle rend contagieux un certain état d'esprit. Le renversement ironique du haut et du bas. L'esprit du carnavalesque qui préside aux périodes de grand bouleversement.

Loin des "éléments de langage" qui sclérosent la parole politique, M. Mélenchon emploie une langue qui se souvient de Rabelais, de Villon, mais aussi de Brassens. Aux "ébahis de la com'" qui ne savent qu'imiter les campagnes à l'américaine, M. Mélenchon oppose l'histoire de France de l'émancipation : "De La Boétie aux philosophes des Lumières, des "Maillotins" de Paris, courant plus vite que les bourgeois, aux sans-culottes, Robespierre, fondateur de notre liberté, Olympe de Gouges, notre remords, Gracchus Babeuf, ceux de 1848 et les communards, le martyr des résistants pour vaincre les nazis, la lutte pour la décolonisation. Tout, nous prenons tout. [...] Jean Jaurès et l'indomptable Louise Michel." Le revoilà, le citoyen qui avait disparu des campagnes électorales soumises à la bêtise narrative, celle qui nous fait choisir un candidat comme une marque, dans un mouvement de sympathie dévoyée. Le revoilà le peuple absent, le "peuple qui manque", disait Gilles Deleuze, un peuple qui s'était détourné de la gauche... Car comme le rappelait le philosophe allemand Peter Sloterdijk, "c'est leur colère synchrone contre l'arrogance sans bornes des puissants qui a appris aux petites gens qu'ils voulaient désormais être des citoyens".

Publié dans coup de coeur

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